Je me souviens parfaitement de ce soir de juin. Assise à mon piano, je révisais, sans grand entrain, un morceau de Poulenc, lorsque j’entendis le cliquetis du jeu de clés fraichement trouvé dans les méandres d’un sac de Marie Poppins, le léger grincement du verrou, le claquement de la porte d’entrée, et, dans mon dos, le « bonsoir » tant attendu.
Elle avait l’air plus grave qu’à l’habitude, sa voix chevrotait légèrement, ses yeux brillaient, son visage, bien que souriant, semblait triste.
-« Mémé est morte ».
J’avais huit ans, et c’était là, mon premier rendez-vous avec la mort.
Bien que les questions fusassent immédiatement dans mon esprit, ma mère, je crois, les anticipa toutes :
-« Elle n’a pas souffert. Elle a eu la plus belle mort qui soit, dans son sommeil. Elle est morte de vieillesse. »
En trois phrases, à peine, ma mère avait pansé toutes mes blessures.
Certes, la faucheuse était passée, avec sa cape noire et son visage livide, mais, de cette notion abstraite et un peu effrayante, je comprenais qu’il n’y avait ni douleur, ni conscience. Et, surtout, plus rassurant encore, je pouvais la reléguer, aux confins de mon univers.
Car, même s’il m’arrivait de passer des nuits blanches entières à redouter l’extinction de notre Soleil (d’ici 5 milliards d’années), la notion de vieillesse, elle, me paraissait si loin qu’elle ne pouvait en aucun cas m’atteindre.
Bien sûr, je n’avais aucune conscience du manque qu’allait entrainer la disparition de mon arrière-grand-mère. Mais je savais qu’il était d’usage de s’en attrister et m’efforçai donc, non sans mal, de faire couler une petite larme, au coin de mon œil.
A cette époque, je ne gouttais pas ma chance d’avoir rencontré la mort de la plus belle manière qu’il soit. Je n’avais connu ni l’orphelinat, ni la perte d’un camarade, ni la maladie, ni l’accident, toujours si injustes. Je n’avais dégusté que le doux dessert de la fin d’une longue vie.
Il aurait pu en être tout à fait autrement.
- Faut-il parler de la mort à nos enfants ?
Dans les années 80, nous croisions le chemin de la mort au hasard d’un bord de route, dans la forme d’une taupe renversée, au travers les lignes d’un conte à l’histoire ensanglantée, ou encore sur fond de Tchaïkovsky devant un Disney bien sucré. Aujourd’hui, avec l’omniprésence des écrans et l’omniscience de l’information, nos enfants sont souvent confrontés à la mort de manière plus brutale. Est-ce une catastrophe pour autant ? Faut-il les protéger de la mort ?
Sans doute pas. Mais il faut bien comprendre notre enfant avant de le lui en parler. Car, bien qu’il soit un adulte en devenir, l’enfant est un petit personnage complexe, au développement fragile.
La notion de mort évolue selon l’âge et la maturité affective. Ainsi, il est établi que :
- Avant 2 ans, l’enfant ne comprend pas la mort, il ne retient que l’absence.
- Entre 2 et 4 ans, la mort est associée à l’incapacité (de bouger, de manger, de parler, etc.).
- Vers 4 ans, l’enfant comprend le caractère irréversible de la mort.
- Vers 6 ans, il comprend que la mort est universelle. Pour autant, l’enfant ne se considère pas concerné. Pour lui, c’est une affaire de vieillesse.
- Vers 9 ans, enfin, la notion de mort est implicite à celle de vie.
La mort fait donc partie de l’existence, et, tout comme la sexualité, notion tout aussi abstraite, elle intrigue l’enfant. En général, c’est vers 3-4 ans, qu’en observant un animal mort, ou au hasard d’une information à la radio ou à la télé, que les petits posent leurs premières questions relatives à la mort.
Et comme c’est un sujet qui dérange, on a souvent tendance, sans même en avoir conscience, à écarter la question. Il n’est pas rare de s’étonner qu’un enfant de 6 ans n’ait jamais pensé à la mort. En fait, la plupart du temps, c’est simplement que nous avons ignoré ses interrogations.
L’essentiel est donc de reconnaître ces interrogations. Plus nous y répondrons, plus le sujet sera intégré, moins il aura de chances d’inquiéter.
Sans pour autant être sordide, et sans avoir à projeter le Roi Lion à chaque question, vous pouvez, par exemple, discuter du cycle des plantes caducifoliées (scrabble mot compte triple !) ou de celui des chenilles-papillons. Cela permettra, d’introduire la notion de début, de fin, mais aussi de continuité de la vie.
- Comment évoquer la mort ?
Avec ses mots, ma mère, j’ignore si elle avait préparé son discours, avait vu juste. Elle avait répondu simplement à mes questions, sans digression, sans image.
Les enfants ont énormément de mal à comprendre le second degré. Lorsque vous employez des expressions du type : « il est parti pour un long voyage » ou encore, « elle est au ciel », sans le savoir, vous pouvez faire naitre une situation angoissante pour l’enfant. Ce dernier pourra attendre le retour du défunt ou bien encore se sentir observé par celui-ci.
Préférez les termes simples. Et si l’enfant demande pourquoi on meurt, vous pouvez expliquer succinctement les raisons possibles de mort (maladie, accident, vieillesse), mais pensez à bien insister sur la grande majorité de vies longues et en bonne santé. Il ne s’agirait pas de faire naître l’angoisse omniprésente de la mort.
- Faut-il dire aurevoir ?
Lorsque « Mémé » a été enterrée, mes parents m’ont refusé le droit de la voir au funérarium. Trente ans plus tard, je garde cet arrière-goût amer d’inachevé. Je n’ai pas pu lui dire aurevoir.
C’est une question fréquente. Faut-il autoriser à l’enfant la vue du cadavre (préparé bien sûr)?
Pour nous, adultes, la notion de cadavre est souvent terrifiante. Alors, pour protéger nos enfants, il est tout naturel de leur interdire l’accès au mort. Pourtant, maquillé et habillé, le corps est tout sauf inquiétant. Si l’enfant le demande, et lorsque cela est possible, accordez-lui la possibilité de faire ses adieux au défunt. Il vaut mieux éviter tout contact physique avec le corps réfrigéré : vous pouvez donc accompagner votre enfant, le prendre dans les bras, tout en lui permettant de se recueillir.
- Comment appréhender les rituels ?
Une mort est toujours accompagnée de rituel : veillée, enterrement, incinération… Certaines questions peuvent titiller vos enfants. Alors comment répondre dans ce cas ?
J’en discutais ce matin avec ma meilleure amie. Nos enfants ont été confrontés à l’incinération d’un aïeul. Aux interrogations de ses deux filles, elle a répondu que l’incinération était un processus qui transformait le corps en paillettes que l’on pouvait ensuite conserver dans une urne ou disperser dans un lieu choisi. De mon côté, j’avais opté pour une réponse très pragmatique : l’incinération est un procédé qui brûle le corps et le transforme en cendres.
Sa version était beaucoup plus poétique que la mienne. Pour autant, dans les deux cas, les fondamentaux demeuraient identiques : une transformation d’un état à un autre. Les deux réponses étaient justes. Ce qui importait là, c’est que toutes deux, nous soyons en accord avec notre sensibilité et celle de nos enfants.
Pour l’enterrement, on pourra parler du cercueil dans le caveau ou même évoquer la décomposition, en fonction des demandes de l’enfant.
Par exemple, j’ai deux discours pour mes enfants. A certains, je réponds que le corps se transforme progressivement en terre et devient un composé organique fertilisant, tandis qu’à d’autres, passionnés de biologie, j’échange sur la putréfaction des corps organisés et les équipes de nettoyage de la nature (vers, insectes et autres charognards). C’est un moyen comme un autre de dédramatiser la fin d’une vie.
- Et les croyances dans tout ça ?
Vous avez donc répondu sans allégorie aux questions de vos enfants, mais voilà qu’un proche leur parle de vie après la mort, de Paradis, d’Enfer, de réincarnation ou encore d’Esprit… Peut-être y croyez-vous aussi ?
Vos enfants, s’ils ont connu le deuil, ont également certainement des croyances. Elles sont là pour nous permettre d’accepter l’inacceptable : la fin. Après tout, nous ne savons pas grand-chose de ce qu’il se passe après la mort… Alors pourquoi ne pas permettre à son enfant d’être ouvert aux différentes possibilités ?
Expliquez-leur que chacun a le droit de croire en quelque chose et que cette croyance est très personnelle.
A titre personnel, je crois à la vie du souvenir de ce que la personne disparue nous a appris ou apporté.
Libre à eux de l’imaginer sur un volcan, à Acapulco, ou, pourquoi pas, en ligne directe !
Pour aller plus loin sur le sujet :
Je vous conseille vivement ce remarquable article d’Isabelle Hanus, psychologue et Vice-Présidente de l’Association Vivre son Deuil, disponible sur le site du CAIRN :
www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2008-2-page-59.htm
Celui-ci va beaucoup plus loin que mon petit article et aborde la notion de maladie, de mort d’un proche, etc.
Voici également quelques livres pour aborder le sujet avec les enfants :
- Aurevoir Blaireau, Susan Varley – Editions Gallimard Jeunesse
- La rose a disparu de Sylvie Sarzaud et Grégoire Mabire – Editions Eyrolles Jeunesse
- Piccolophilo – C’est quoi la mort ? de Michel Piquemal et Thomas Baas – Editions Albin Michel Jeunesse
- La perte d’un proche de Michaël Larrar – Editions Prisma
- J’ai laissé mon âme au vent de Roxane Marie Galliez – Editions La Martinière Jeunesse
Et enfin, un conte musical, absolument magnifique, que les enfants ont eu la chance de voir au Festival l’Echo des Mots en 2018. Que se passe-t-il quand la Mort décide d’arrêter son travail ?
Djoha des Poissons Voyageurs – à commander sur www.lespoissonsvoyageurs.com
Merci pour cet article à la fois pragmatique et passionnant.
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Merci beaucoup Odile!
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